Soutenu financièrement par Stake, un mastodonte des jeux d’argent en ligne, Kick tente de concurrencer Twitch dans le monde du streaming avec une stratégie agressive.
Matthieu Eugène / Publié le
Leader incontestable des plateformes de streaming live, Twitch n’a jamais trop eu à craindre la concurrence. Dailymotion archaïque, YouTube peu adapté, Mixer avalé, Facebook Gaming abandonné… Google, Microsoft, Meta s’y sont essayés, mais n’ont jamais su détrôner, ni même inquiéter, la plateforme d’Amazon largement plébiscitée. Cependant, au cours du premier semestre 2023, un nouveau nom est apparu dans le paysage du streaming : Kick. À grand renfort de communication, le nouvel arrivant a déjà beaucoup fait parler de lui, mais pas souvent pour les bonnes raisons. Mais d’où vient Kick et peut-il espérer faire de l’ombre à Twitch ?
Kick et ses liens troubles avec les casinos en ligne
Kick est né en décembre 2022, alors que Twitch venait de sortir d’une polémique autour des jeux de hasard. En effet, de nombreux streameurs utilisaient la plateforme pour diffuser leurs parties dans des casinos virtuels, le plus souvent sur lesslots, des machines à sous en ligne aux multiples designs et concepts. Une pratique alors autorisée – bien que les casinos en ligne, plateformes relativement opaques, soient interdits dans de nombreux pays dont la France -, mais qui a provoqué l’ire d’une partie de la communauté Twitch. C’est la streameuse Pokimane, forte de millions de followers, qui a mené la fronde. Avec succès, puisqu’à la suite de l’appel à la grève de la Maroco-Canadienne, Twitch interdisait la diffusion des jeux de hasard sur sa plateforme en octobre 2022.
Kick s’est alors infiltré dans la brèche, avec une copie de Twitch au niveau de l’interface et l’important soutien financier de son propriétaire… le casino en ligne Stake. Ce mastodonte des jeux d’argent en ligne est établi au Curaçao, informe Le Monde, “un État autonome du royaume des Pays-Bas se trouvant aux Antilles” où la“réglementation […] est très souple”en la matière. Et, en effet, sur Kick, la mise en avant des casinos en ligne – dont Stake – est importante. La catégorie “machines à sous et casino” est sur le podium des plus regardées depuis la création de la plateforme. Et celle-ci s’est offerte un grand nom du streaming avec xQc, un habitué de la diffusion deslots et poids lourd de Twitch avec ses 12 millions de followers. Contre 100 millions de dollars, le Canadien a signé un contrat non exclusif de deux ans avec Kick, selon le New York Times . Autant dire que les moyens de Stake, qui sponsorise par exemple Alfa Romeo en Formule 1, sont colossaux.
Non sans humour, MisterMV s’exprime sur le contrat de xQc chez Kick :
Kick surfe sur le mécontentement des streameurs Twitch
Mais Kick ne mise pas seulement sur la diffusion des jeux de hasard et d’argent. Le service compte réellement concurrencer Twitch et espère pour cela convaincre les autres streameurs – talk, gaming, etc. – de faire la bascule. Sa stratégie ? Miser sur le mécontentement des streameurs quant à la rémunération proposée par la plateforme d’Amazon, avec une répartition bien plus avantageuse pour les créateurs de contenu. Car en dehors des partenariats et diffusions sponsorisées, la majeure partie des revenus des streameurs provient des abonnements (ou subs).
Actuellement, sur Twitch, unsubcoûte 3,99 € via l’interface web. 50 % de ce montant est prélevé par la plateforme d’Amazon chez une immense majorité des streameurs. Kick est venu donner un coup de pied dans la fourmilière en proposant de passer du 50-50 de Twitch à un 95-5 en faveur des créateurs de contenu. Avec 95 % d’un abonnement à 4,99 $, ils sont nombreux à se demander si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Et Kick l’a bien compris, en appuyant fortement sur ce point dans sa communication. Pour un grand nombre de streameurs peinant à trouver un équilibre financier et vivre à 100 % de leur activité, la question de franchir le pas se pose… ou ne se pose déjà plus, étant donné que le principe d’exclusivité n’existe plus pour les streameurs partenaires sur Twitch.
Kick, une plateforme peu regardante sur le passif de ses streameurs et leur contenu
Mais l’image de la plateforme en freine déjà certains. “Leur créneau, c’est un peu le côté free speech, c’est ouvert ici tu peux faire un peu ce que tu veux”, estime le streameur Domingo dans Popcorn. Résultat, des contenus dépassant clairement les limites sont apparus, notamment à caractère sexuel, voire p*rnographique. Et la modération de Kick est souple, avec de très courts bannissem*nts pour les streameurs coupables de diffuser des contenus interdits. Des “créateurs” bannis de Twitch sont également accueillis à bras ouverts chez Kick, comme Adin Ross, connu pour sa toxicité, ses propos masculinistes et transphobes.
“Adin Ross insultait ses vieweurs”
Très suivi sur Twitch depuis des années, MisterMV résumait ainsi dans un live sa première expérience de vieweur sur Kick : “La seule fois où je suis allé sur Kick, c’était en anonyme. J’avais sur la gauche les 5 ou 6 streams proposés. Donc j’avais Adin Ross qui était en train d’insulter ses vieweurs. Il y avait trois personnes qui try-hardaient des casinos en ligne. Une femme qui faisait du twerk en gros plan avec un homme derrière la caméra qui lui parlait très mal. Et le dernier stream, c’était juste un mec qui jouait à League of Legends.”
Kick, une “plateforme nauséabonde” ?
Pour Ultia, streameuse dénonçant régulièrement les propos et comportements sexistes sur Twitch, “il y a tellement de streameurs mis en avantpar la plateforme (Kick, ndlr) qui ont un passé dégueulasse…[…] Une plateforme où tous ceux qui sont bannis de Twitch sont contents de streamer, c’est un peu une plateforme nauséabonde”, expliquait-elle dans un live, tout en reconnaissant que Twitch était loin d’être exempt de tout reproche.Si Kick se vante d’avoir mis rapidement à disposition des options permettant de masquer les streams casino ou jacuzzi, des fonctionnalités demandées depuis longtemps sur Twitch, la réputation de la plateforme semble déjà ternie pour une partie de sa cible.
Le business model de Kick peut-il tenir ?
Bien sûr, avec ses propositions financières attrayantes, Kick parvient à faire venir les streameurs, notamment les petit* créateurs et ceux qui tentent de vivre du streaming… Et leurs communautés. En juin, la moyenne quotidienne de spectateurs était de 130 000 sur Kick. Loin derrière Twitch, avec plus de 2,4 millions de spectateurs en moyenne par jour sur le mois, selon StreamCharts. Pas de quoi faire de l’ombre à la plateforme d’Amazon pour le moment, mais l’attrait financier pour les créateurs de contenu n’est pas négligeable. D’autant que Kick réfléchit à leur offrir une rémunération mensuelle qui ne serait pas basée sur le soutien des spectateurs.
Une stratégie agressive pour une place au soleil
Cependant, malgré les moyens discrets mais faramineux de Stake, le business model de Kick peut-il tenir ? Selon ZeratoR, streameur, entrepreneur et notamment organisateur d’actions caritatives comme le ZEvent, ce qu’entreprend Kick, “c’est exactement la stratégie de Mixer, c’est exactement la stratégie de Twitch au départ”. C’est-à-dire “le modèle à l’américaine : pendant 3 ans, on perd énormément d’argent (…) pour conquérir le marché. Une fois qu’on aura le marché, on stabilise. C’est exactement ce que va faire Kick”. Cité parLe Monde, Valentin Levetti de la chaîne de vulgarisation Stupid Economics est du même avis : “Ils essayent avec un marketing agressif d’attirer un maximum d’utilisateurs pour prendre une place dans le marché et, ensuite, ils définiront un “business model” viable”. Mais rien “n’est jamais gravé dans le marbre”.
https://www.youtube.com/watch?v=43v8DOPPNAs
Profiter de la bulle avant qu’elle n’explose ?
Est-ce une bonne idée pour les streameurs de “profiter de ces conditions jusqu’à ce que la bulle explose et que tout s’arrête”, interroge ZeratoR ? Certains “feront ce choix, mais est-ce que ça vaut le coup” ? Financièrement “peut-être, et encore rien n’est sûr”. Cela “dépend à quel point tu estimes la pérennité de ton métier, si tu comptes faire ça toute ta vie. Pour le moment, c’est probablement un mauvais choix à long terme”, estime-t-il. Mais il est encore trop tôt pour avoir une réponse définitive. Et actuellement, les streameurs qui tentent l’aventure sur Kick se posent aussi la question de leur image, tant la plateforme est controversée. En attendant, Kick fait parler de lui avec l’idée qu’en bien ou en mal, l’important c’est qu’on en parle.
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